Les Banques Centrales ont repris le contrôle des marchés obligataires

  1. Benjamin Melman
  2. Global CIO
  3. Edmond de Rothschild Asset Management
Assurancevie.com fait le point sur les dernières évolutions des marchés financiers avec Benjamin Melman, directeur des gestions (Global CIO) chez Edmond de Rothschild Asset Management.

Les marchés financiers souffrent encore de la crise du Coronavirus, quelle est votre analyse à ce jour ?
Benjamin Melman : Il y a eu beaucoup de changements sur les marchés ces dernières semaines. Le manque de liquidités demeure important, même s’il a changé de nature. Il est tel qu’il nous empêche aujourd’hui de conduire des choix importants en matière d’allocation d’actifs. Mi-mars, les marchés étaient totalement disloqués. Il était frappant de constater que de grands marchés d’emprunt d’États manquaient de liquidités. Même les emprunts d’État américain (le marché des « treasuries »), étaient devenus incroyablement volatils du fait de ce manque de liquidités.

Depuis, il y a eu l’intervention massive des Banques Centrales tant sur le marché des emprunts d’États que sur celui des obligations d’entreprises (« corporate bonds »). L’effet fut radical, il y a eu une normalisation des marchés obligataires. Celui des emprunts d’État a retrouvé de la liquidité et les taux longs sont redescendus, ce qui est une excellente nouvelle pour l’ensemble des marchés.

Si le retour à la normale est plus progressif sur le marché des obligations d’entreprises, il a déjà permis à de nombreux émetteurs, tant aux États-Unis qu’en Europe, de revenir sur ce marché. Ces éléments sont pour nous très importants car ils apportent un point d’ancrage à tous les marchés financiers.

Ce qui est également frappant, et très positif, c’est le changement de mentalité des Banques Centrales qui ont aujourd’hui repris le contrôle du marché obligataire. En Europe, Christine Lagarde (la présidente de la BCE) avait dans un premier temps déclaré qu’il ne fallait pas s’attendre à ce que les Banques Centrales soient la première ligne de défense face au Coronavirus, demandant aux États d’intervenir via leur politique budgétaire.

De son côté, la Fed (Banque Centrale américaine) refusait, il y a encore quelques mois de baisser ses taux malgré les pressions de Donald Trump.

Aujourd’hui, elles adoptent une logique du « whatever it takes » (ou « quoi qu’il en coûte ») et leurs intentions sont très claires. Les Banques Centrales sont même prêtes à aller au-delà des mesures qu’elles ont annoncées.

Autre facteur favorable : le changement de discours de certains États, qui ont adopté des plans de relance. Aux États-Unis, à peine après avoir voté le plus grand plan de sauvetage de son histoire (2 000 milliards de dollars), on parle déjà d’un second plan de relance.

Cet engagement sans faille des autorités monétaires et fiscales face à cette crise est très rassurant.

Mais un autre point est à surveiller : c’est la question du pic de l’épidémie. Nous commençons à observer quelques signes encourageants en Europe, mais il faut rester prudent. En sommes-nous proches ? La réponse à cette question pourrait aider les marchés à se prononcer. Nous commençons à avoir quelques estimations sur le coût des mesures de confinement. Il est considérable. En France, l’Insee a dévoilé quelques estimations (qu’elle annonce très fragiles) : en période de confinement, le PIB français tournerait à 65% de son régime habituel, soit approximativement 3 points de PIB en moins sur la croissance par mois passé en confinement. En Italie, où l’économie est beaucoup plus à l’arrêt, le coût serait le double, le PIB tournant à 30% de son rythme normal.

Les plans de relance massifs qui ont été adoptés doivent donc être mis en balance avec le coût de cette crise.
Comment envisagez-vous la reprise économique de « l’après » période de confinement ?
Benjamin Melman : Le retour à une activité économique normale sera progressif. C’est d’ailleurs le cas en Chine où le confinement se relâche. Le retour à la croissance ne pourra être brutal ou en « V » comme espéré au début de l’épidémie. Et pour cause, il y aura certainement des mesures de « distanciation sociale » qui empêcheront un retour à l’ordinaire de l’économie. Par ailleurs, la question du rythme auquel vont se rouvrir les frontières est importante. Vont-elles se rouvrir dès que le pic de l’épidémie aura été atteint ? Pas forcément. Autre risque : le retour éventuel de l’épidémie à l’automne n’est également pas à exclure.

Nous manquons encore d’éléments pour réaliser des prévisions au-delà de cette période de latence post-confinement. Des économistes travaillent actuellement sur le sujet. Seule certitude : le niveau extrêmement élevé des déficits publics – qu’il faudra bien commencer à réduire – va peser sur la reprise de la croissance.
Les mesures adoptées par les Banques Centrales ne risquent-elles pas d’entraîner un retour de l’inflation ?
Benjamin Melman : Les Banques Centrales ont recours au Quantitative Easing(1), ce qui encourage l’endettement des États. Mais à partir du moment où cette dette sera remboursée, et que les déficits seront réduits, on ne pourra pas parler de monétisation de la dette à proprement parler. Par ailleurs, il y a encore quelques mois, les output gap(2) étaient positifs dans les principales zones géographiques et l’inflation n’arrivait pas à repartir. Il est donc très compliqué d’imaginer que l’inflation puisse repartir aujourd’hui alors que les output gap sont extrêmement négatifs et que les taux de chômage ont fortement progressé. Les mesures prises par les Banques Centrales sont efficaces pour lutter contre la déflation. Mais s’il y a une thèse à laquelle nous n’adhérons pas, c’est bien le retour de l’inflation.
Quels ont été les choix d'Edmond de Rothschild Asset Management en matière d’allocation d’actifs ?
Benjamin Melman : Le manque de visibilité est encore important. Il nous empêche de réaliser de grands choix en matière d’allocation d’actifs. Nous sommes neutres sur le marché des actions. À cet égard, nous sommes confortés dans nos convictions : les valorisations sont attractives, les politiques économiques prises sont importantes et chaque jour de crise qui passe nous donne davantage de visibilité.

Nous sommes encore sous-pondérés sur le crédit. Notons que dans cette légère sous-pondération, nous avons décidé de mettre un terme à une surpondération aux emprunts d’États puisque les taux longs ont déjà beaucoup baissé. Leur potentiel de baisse nous semble désormais limité. On revient donc neutre sur les emprunts d’États et on se repositionne sur des obligations d’entreprises les mieux notées (« Investment grade ») en Europe et aux États-Unis, profitant du fait qu’elles sont bien rémunérées et très protégées par les Banques Centrales.

(1) Ou « QE ». Le principe consiste pour une Banque Centrale à créer de la monnaie pour racheter auprès des banques des titres de dettes d’États, voire même des dettes d’entreprises. L’objectif ? Que les banques utilisent cet apport de liquidités pour financer les entreprises et les ménages, favorisant ainsi la consommation et l’investissement.
(2) Concept économique désignant l’écart entre le PIB effectif et le PIB potentiel.

Mis à jour le 03/02/2025

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