CORONAVIRUS : UN CHOC ÉCONOMIQUE ET FINANCIER SANS PRÉCÉDENT

  1. Véronique Riches-Flores
  2. Économiste indépendante
  3. RF Research
Alors que les pays européens sortent du confinement, des questions demeurent : Quelle est exactement l’ampleur de cette crise ? Que penser des réponses des banques centrales ? Quelle sera la forme de la reprise économique ? Et quid des conséquences sur la mondialisation ? Pour y répondre, Assurancevie.com s’est entretenu avec Véronique Riches-Flores, économiste indépendante et fondatrice du cabinet de recherche RF Research.

Interview achevée de rédiger le 29 avril 2020 

QUELLE EST VOTRE ANALYSE DE LA CRISE DU CORONAVIRUS ?
Véronique Riches-Flores : La crise sanitaire a tout d’abord entraîné une interruption de l’activité productive en Chine, du fait des mesures drastiques de confinement et de distanciation sociale imposées dans le pays. Au départ, la principale crainte était donc celle d’un choc d’offre. Tant que vous avez un seul choc d’offre, cela signifie qu’il y a encore de la demande en face. L’impact du Coronavirus pouvait donc être transitoire. C’est la raison pour laquelle les marchés financiers n’ont pas réagi à l’épidémie, lorsque celle-ci n’était que chinoise. La demande du reste du monde n’étant pas touchée, il n’y avait pas de quoi s’inquiéter pour les investisseurs. Au contraire, le gel de l’offre risquait même d’entraîner un peu d’inflation, ce qui n’était pas pour leur déplaire, le risque de déflation étant depuis plusieurs années l’ennemi numéro un des marchés financiers.

La situation a changé lorsque l’épidémie s’est propagée hors de Chine et que les mesures de confinement se sont imposées : en Italie, en Europe et enfin aux États-Unis. Et pour cause, à partir du moment où vous confinez toute une population, vous créez de facto un choc de demande, c’est-à-dire une baisse brutale de la consommation, en plus de celui de l’offre lié à la paralysie des entreprises. L’ampleur du choc a dépassé les pires récessions que nous avons enregistrées jusqu’alors. Les activités de services ont été les plus affectées par les mesures de confinement, à savoir : le commerce, le tourisme, l’hôtellerie, les transports, la logistique ou encore la restauration. Or, ces activités sont devenues très importantes ces dernières années pour le tissu économique mondial.

De surcroît, les entreprises évoluant sur ces secteurs (tourisme, restauration, hôtellerie) sont globalement de petite taille, ce qui les rend encore plus fragiles face à la crise. Aux États-Unis, 70% des entreprises du tertiaire ont moins de 9 salariés et réalisent un chiffre d’affaires inférieur à un million de dollars. Dans le même sens, à New York, les entreprises du secteur de la restauration disposent de moins de 15 jours de trésorerie. On imagine donc sans difficulté l’effet dévastateur que peut entraîner l’arrêt de l’activité pendant un mois.

C’est donc une crise tout à fait spécifique, tant par son ampleur que par sa capacité à se propager sur l’ensemble des territoires.

Enfin, cette crise sanitaire s’est transformée en crise financière dans un contexte de valorisation élevée des actifs avant la crise, conséquence d’un environnement de taux d’intérêt très bas et de l’abondance de liquidités fournies par les Banques Centrales. L’ensemble a entretenu un gros appétit des investisseurs pour le risque qui s’est rapidement traduit par de très fortes réactions des marchés lorsque l’épidémie est devenue pandémie.

La baisse des marchés intervenue du 19 février au 23 mars a été d’une rare violence et a touché toutes les classes d’actifs. Ce stress extrême s’est même soldé par la liquidation temporaire de valeurs refuges nécessaire pour retrouver des liquidités et couvrir les appels de marges(1). Les bons du trésor américain, mais aussi de l’or, en ont temporairement soufferts.

La crise sanitaire a donc entraîné : un choc d’offre, un choc de demande et un choc financier.
QUE PENSEZ-VOUS DES ACTIONS DES BANQUES CENTRALES ?
Véronique Riches-Flores : Les Banques Centrales sont dans l’obligation d’agir pour ne pas laisser s’effondrer le système financier. La Banque Centrale Européenne (BCE) a donc adopté un programme de rachats d’obligations d’États et d’entreprises pour plus de 800 milliards d’euros, ce qui est colossal.

Aux États-Unis, la Réserve fédérale (Fed) est allée encore plus loin en annonçant le rachat d’obligations high yield (à haut rendement) mais également celui des prêts étudiants et à peu près tout ce qui existe comme produits financiers à risque.

Toutes ces opérations visent à la fois à aider au financement des États, des entreprises et à apporter des liquidités à tous les acteurs économiques. Mais ce sauvetage concerne également des actifs sur lesquels il y a eu clairement spéculation et mauvaise gestion du risque et qui se retrouvent aujourd’hui dans des situations critiques. C’est en particulier le cas des obligations d’entreprises à haut rendement (high yield) qui se sont développées dans des conditions spéculatives, du fait d’un environnement de taux bas, de surliquidités et de la recherche de rendements de la part des investisseurs. Dans un monde de taux bas, les investisseurs prennent davantage de risques pour booster le rendement de leurs placements, c’est le concept de TINA(2) (« There Is No Alternative ») qui s’est largement propagé ces derniers trimestres :

Ces actions des banques centrales, bien compréhensibles dans un contexte de risque financier très important posent néanmoins la question de l’aléa moral. Ces pratiques nuisent à la juste évaluation du risque par les investisseurs et biaisent de fait les comportements en incitant à une prise de risque démesurée qui se traduit in fine par une mauvaise allocation du capital.

Tout est une question d’équilibre : pour être efficaces sur le long terme et éviter une forme de fuite en avant, ces pratiques monétaires doivent être accompagnées par des initiatives de politiques économiques des gouvernements destinées à mettre à profit le contexte de bas niveau des taux d’intérêt et de liquidités abondantes à des fins économiques. Sans cette force de rappel, l’action des banques centrales continuera à créer des bulles spéculatives comme cela a été le cas ces dernières années.
SELON VOUS, QUELLE SERA LA FORME DE LA REPRISE ÉCONOMIQUE (EN V, U, W, L…) ?
Véronique Riches-Flores : Tout dépendra justement de la réponse des politiques budgétaires. Mais à ce jour, le scénario en V semble déjà impossible. Il y aura un effet de rattrapage de l’activité après une quasi-paralysie de l’offre et de la demande mais le plus probable est que cette reprise butte assez rapidement sur les dégâts causés par la crise. Une reprise en UL susceptible de tourner au W me semble plus probable.

L’influence du secteur industriel a été dominante dans les épisodes passés de reprise économique. À ce titre, le secteur automobile a joué un rôle clé. La sortie de crise de 2008 s’est faite grâce au secteur automobile sous l’impulsion du programme de relance chinois. Ce dernier a permis à la Chine de combler en quelques années son retard d’équipement et d’infrastructures et a sorti l’économie mondiale de récession en l’espace de six mois.

Tel ne pourra pas être le cas aujourd’hui. Le degré d’équipement du marché automobile chinois est plutôt excédentaire compte tenu du niveau de développement du pays. Depuis deux ou trois ans, le gouvernement chinois tente de soutenir l’activité avec très peu de résultats du fait d’un surendettement massif des entreprises et des ménages. Cette situation pèsera probablement sur la reprise chinoise malgré d’importantes dépenses publiques en infrastructure. Les leviers de croissance sont donc réduits en Chine.

Aux États-Unis, le marché de l’automobile stagne depuis trois ans. Ce secteur aurait probablement connu une récession s’il n’avait pas été soutenu par le très bas niveau des taux d’intérêt car le cycle y est mature. De fait, le potentiel de rattrapage du secteur automobile est probablement limité, c’est également le cas en Europe où le secteur avait déjà eu beaucoup de mal à sortir de la crise de 2012. Les incertitudes des consommateurs à l’égard des nouvelles réglementations et des véhicules hybrides et électriques sont importantes : ces derniers sont-ils LA solution environnementale de long terme ? La réponse est incertaine. La crise du diesel est encore dans les mémoires et refroidit les consommateurs européens. Enfin, le coût relativement élevé des véhicules de nouvelle génération n’arrange en rien la situation, dans un contexte d’incertitude économique et de faibles gains de pouvoir d’achat.

Ce secteur-clé pour la croissance ne semble pas en mesure de jouer le rôle de locomotive qu’il a su jouer par le passé...

Plus globalement, les pays européens vont devoir trouver un terrain d’entente pour relancer la croissance. Un point qui ne sera pas facile à obtenir compte tenu d’intérêts économiques très différents entre pays.
LE MILLÉSIME 2020 VA-T-IL MARQUER UN TOURNANT DANS LES HABITUDES DE CONSOMMATION, LES PROCESSUS DE PRODUCTION ET IN FINE SUR LA MONDIALISATION ?
Véronique Riches-Flores : J’en suis convaincue. Cette crise a mis à nue l’extrême dépendance du reste du monde à l’égard de ce qui est devenu « son atelier chinois ».

Je pense qu’il y a une prise de conscience de la part des individus, des politiques et des chefs d’entreprise que les choses doivent changer, qu’il faut rapprocher les centres de production des consommateurs. Dans ce sens, cette crise devrait accélérer le processus de démondialisation, qui était déjà bien amorcé en 2019 avec la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis.

Il y a du positif dans cette perspective mais une amplification du mouvement de démondialisation est synonyme de croissance plus faible, qu’il faudra compenser par des politiques industrielles, structurelles, de reconstruction.

Il est donc urgent de mettre en place des lignes directrices politiques très fortes pour mobiliser les capitaux privés, qui à défaut, ne viendront pas s’investir dans l’économie. Le défi politique est exceptionnel, notamment en Europe. Ce n’est pas certain que les Européens y parviennent. Je pense même que tant que les États-Unis ne donneront pas la priorité à une politique environnementale, il est assez peu probable que l’Europe prenne une véritable avance dans cette voie.

(1) Pour effectuer des transactions financières (avec effets de levier), les traders doivent déposer des titres en garantie. Quand la valeur des titres dégringole, un appel de fonds est exigé par l’intermédiaire financier. Il faut donc trouver des actifs à vendre pour répondre à ce besoin de liquidités.

(2) «There Is No Alternative » phénomène qui pousse les investisseurs vers les actions car l’obligataire rapporte peu compte tenu du contexte de taux bas. En d’autres termes, « il n’y a pas d’autres alternatives » que les actions.

 

Mis à jour le 29/05/2020

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